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16 octobre 2007 2 16 /10 /octobre /2007 22:13

N'en déplaise à ceux qui aimeraient encore bien débattre de l'éventuelle réalité du Changement Climatique, du rôle des rayons comisques ou de la variabilité solaire, ou de savoir s'il ne faisait pas plus chaud au Moyen-Age quand les Anglais faisaient du vin, l'air du temps dans le domaine climatique serait plutôt ces temps-ci de savoir si nous ne sous-estimons pas largement le changement climatique à venir.

Dans Science  en mai dernier, un groupe de climatologues, parmi lesquels les figures de proue Stefan Rahmstorf et Jim Hansen, indiquaient que les évolutions récentes des températures et du niveau des mers suivaient, respectivement, les hautes et tres hautes limites des projections du GIEC 2001 (voir graph ci-dessous: courbes pleines= observations, pointilléees= scérario GIEC, bande grise= incertitude, grises pointillées= incertitude max.) - même si les périodes étudiées (une 15aine d'année) sont naturellement encore trop brèves pour être vraiment significatives, au regard notamment de la variabilité naturelle du climat.


courbes-science2.jpeg


Plus que sur les températures, c'est surtout sur le niveau des mers, en relation avec la fonte des calottes du Groenland et de l'Antarctique Ouest, que se focalise l'attention. Rappelons, pour  les ordres de grandeur, que la fonte du Groenland, en "niveau des mers", représenterait à peu près 6-8 mètres de hausse, et la calotte Antarctique Ouest environ 5-6 m également. L'Antarctique Est représenterait environ 70 mètres.
Rappelons aussi que la hausse du niveau des mers estimée pour le 20ème siècle est d'environ 20 cm (globalement de façon assez linéaire sur cette période, avec une accélération après 1990). Le GIEC 2001 prévoyait pour le prochain siècle une hausse du niveau des mers dans une fourchette de 9 à 88 cm, et le GIEC 2007 de 20 à 60 cm. 
Ces chiffres ne sont certes pas anodins, mais le tableau n'est pas si terriblement inquiétant - comparés à d'autres potentielles conséquences du CC - et d'ailleurs après ce rapport 2007, de nombreux commentateurs ont mis en avant cette a priori rassurante révision à la baisse de la projection de hausse du niveau marin.
Oui mais....

NON-LINEARITE

La hausse du 20ème siècle est essentiellement due à la dilatation thermique de l'océan (pour plus de la moitié) et à la fonte partielle des glaciers continentaux (qui représentent en cas de fonte totale une 40aine de cm). La contribution des calottes Groenlandaise et Ouest-Antarctique, jusqu'aux années 90, semble avoir été faible ou négligeable. 
Quant aux prévisions du GIEC,  elles se basent sur des modèles qui n'incluent pas de façon explicite et précise la dynamique de fonte des calottes polaires. Ces calottes ne fondent en effet pas comme de simples gros glaçons: les observations des dernières années révèlent des dynamiques complexes, avec des rétroactions positives qui se mettent en place une fois que la fonte a commencé. Grossièrement:

  * la fonte en surface de la glace entraine la formation de lacs, masse d'eaux sombres qui diminuent l'albédo de la surface de la calotte, augmentant donc l'énergie qu'elle absorbe et accentuant son réchauffement.

 *  l'eau de fonte s'infiltre à travers la calotte (par les fameux "moulins" ) jusqu'à sa base, qu'elle "lubrifie", permettant ainsi une accélération de la course des glaciers vers la mer.

* le réchauffement des eaux océaniques avoisinantes, ainsi que la montée du niveau marin, "grignote" les plate-formes glaciaires (="ice shelf", prolongement de la calotte sur la mer - plusieurs centaines de mètres d'épaisseur, donc); celles-ci, se fragilisant, peuvent se briser, et ainsi permettre un écoulement accéléré de la glace située  plus à l'intérieur des terres et que cette plate-forme, en quelque sorte, "retenait". Cette situation très précise s'est produite en 2002 lors de l'effondrement de la plate-forme Ouest-Antarctique Larsen B, assez médiatisée à l'époque: les glaciers qui s'appuyaient sur ces plate-formes avancent depuis lors 2 à 6 fois plus rapidement.

* enfin, si l'altitude du socle rocheux (sur lequel repose la calotte) au niveau du front glaciaire se trouve sous le niveau de la mer (comme au Groenland), l'eau de mer, non seulement en se rechauffant attaque la plate-forme glaciaire, mais va aussi pouvoir s'infiltrer sous le glacier et le "ronger" davantage.

le schéma suivant permet de mieux visualiser l'organisation de la bordure de la calotte.

glacesantarctqw6.jpg


Ces phénomènes, notamment l'accélération de la course vers la mer des glaciers côtiers (le glacier groenlandais Kangerlua, "immortalisé" par JL Borloo et Angela Merkel, avance de 30 mètres/jour), ont tous été observés, au Groenland comme en Antarctique Ouest, ces dernières années. Ils tendent à indiquer -malgré, encore une fois, le peu d'années d'observations - que la fonte de ces calottes s'accélère, et surtout qu'elle se produira d'une façon fondamentalement non-linéaire.
Le GIEC 2007 l'indique explicitement  : 
"
Models used to date do not include uncertainties in climate-carbon cycle feedback nor do they the full effects of changes in ice sheets [...] . Dynamical processes related to ice flow not included in current models but suggested by recent observations, could increase the vulnerability of the ice sheets to warming, increasing future sea level rise."
Par conséquent la fourchette 20-60cm doit s'entendre comme "
excluding rapid dynamical changes in ice flow" (en fait une contribution constantes des calottes est envisagée sur la base des contributions estimées de ces calottes entre 93 et 2003), parce que le GIEC, de son propre aveu, est incapable d'évaluer cette réponse dynamique des calottes glaciaires, faute de consensus sur les processus incriminés et sur leur ampleur...
Il indique néanmoins, rappelons-le, que la fonte des calottes (surtout du Groenland) pourait se poursuivre très longtemps après 2100 si le réchauffement global est important, menant éventuellement à terme (~1000 ans) à des calottes très rétrécies et une hausse du niveau des mers de 7m - faisant remarquer que les températures attendues au Groenland sont équivalentes à celles estimées au plus fort du dernier interglaciaire il y a 125000 ans, quand le niveau des mers était plus élevé de 4 à 6 m...


Cependant, des voix s'élèvent au sein de la communauté scientifique concernée pour dénoncer le caractère exagérement optimiste (!), ou du moins trompeur, de cette vision.
La plupart, comme par exemple Eric Rignot de la NASA ou Robert Corell (chairman du Arctic climate Impact Assessment), objecte , qualitativement, que compte tenu des observations déjà en cours et des lacunes fondamentales des modèles, les prévisions actuelles seront nécessairement dépassées; mais peu se risquent à des estimations chiffrées
Dans Science en janvier dernier, Stefan Ramhstorf , notant l'absence à ce jour d'une modélisation mécaniste crédible des calottes glaciaires, proposait un article controversé "A semi-empirical Approach to projecting future sea-level rise" : en extrapolant une simple relation linéaire entre hausse des températures et du niveau des mers établie sur le 20ème siècle, il indique une hausse pour le 21ème entre 0.4 et 1.4 mètre, ce qui est déjà le double des prévisions du GIEC - sans prendre en compte, par construction, la contribution des calottes (faible au 20ème).
Dans un article paru en mai dans Environmental Research Letters, Jim Hansen  lui répond que si justement la hausse du 20ème a bien été dominée par des termes linéaires, i-e dilatation thermique et fonte des glaciers continentaux, celle du 21ème sera très certainement, sous un scénario d'émissions "Business as usual", dominée par ce troisième terme qui a toutes les chances de ne pas être linéaire du tout: la désintégration des calottes. Cela rend insuffisant d'après lui la projection de Ramhstorf. Il fonde cette assertion sur une biblio imposante des observations récentes (in situ et  par satellite) des phénomènes de fonte dynamique décrits ci-dessus, et sur des données paleoclimatiques indiquant que par le passé la hausse du niveau des mers, dans des épisodes de déglaciation ou de réchauffement, s'est dèjà produite à des vitesses de plusieurs mètres par siècle: estimant que sur la dernière dizaine d'années la contribution des calottes a doublé et atteint maintenant à elle-seule 1mm/an (contre 2 mm/an, tous phénomènes compris, en moyenne pour le 20ème), et extrolant cette progression géométrique au 21ème siècle, il en arrive pour 2100 à une hausse de ... 5 mètres du niveau des mers - chiffre qu'il donne comme ordre de grandeur, bien plus probable à ses yeux qu'une évélation linéaire de quelques dizines de cm.

"SCIENTIFIC RETICENCE"

Cet article de J.Hansen
s'intitule "Scientific reticence and sea-level rise" (en open acess - profitez-en).
Hansen, sentant sa position plus isolée dans la sphère publique qu'au sein de la communauté scientifique, y argue  qu'une "réticence scientifque" empêche parfois la bonne communication auprès du public des dangers posés par le changement climatique - et que le cas de la montée des eaux en offre un bon exemple. La "réticence" proviendrait de la méthode scientifique faite de petits pas et de scepticisme (n'en déplaise au "vrais" climato-sceptiques...), ainsi que du phénomène psychologique suivant: "Concern about the danger of `crying wolf' is more immediate than concern about the danger of `fiddling while Rome burns. [...]  there is a preference for immediate over delayed rewards, which may contribute to irrational reticence even among rational scientists".
Hansen ne blâme pas, pour autant,  le GIEC pour sa réticence à en dire un peu plus que le "plus petit dénominateur commun" du consensus scientifique - encore que personnellement, je trouve qu'on peut penser que le GIEC aurait dû présenter les choses peut-être différemment : non pas seulement l'incertitude des résultats (ce qui est fait avec les fourchettes, et les likely ou very likely ), mais l'incertitude sur les mécanismes à l'origine de ces résultats. Parce que même si le GiEC dit "on a exclu la fonte des calottes, parce qu'on n'en sait pas assez, et voici ce que ca donne", le public va retenir la seconde moitié de la phrase et oublier la première. Idem pour la hausse des températures, qui n'inclut pas les feedbacks carbone-climat ou la fonte du permafrost et les émissions de méthane -
Le point de vue de Hansen est finalement bien résumé par ces lignes (souligné de ma part):

"Positive climate feedbacks and global warming already `in the pipeline' due to climate system inertia together yield the possibility of climate `tipping points' , such that large additional climate change and climate impacts are possible with little additional human-made forcing. Such a system demands early warnings and forces the concerned scientist to abandon the comfort of waiting for incontrovertible confirmations 

There is, in my opinion, a huge gap between what is understood about human-made global warming and its consequences, and what is known by the people who most need to know, the public and policy makers. The IPCC is doing a commendable job, but we need something more. Given the reticence that the IPCC necessarily exhibits, there need to be supplementary mechanisms. The onus, it seems to me, falls on us scientists as a community
".

A la réponse spontanée du scientifique "réticent" :  "je n'en sais pas assez pour répondre au problème", Hansen nous invite à nous demander aussi "en savons-nous suffisamment pour en dire plus ?".
M.Oppenheimer, de l'université de Princeton et membre éminent du GIEC, tient à peu près le même discours dans un article paru dans Science le mois dernier, "The Limits to Consensus" (que vous pouvez lire ici). Selon lui, il est plus utile maintenant que les décideurs et politiques fassent appel à des rapports plus ciblés, plus fréquents, rédigés par des équipes plus ramassées, de quelques experts: bien que les rapports du GIEC aient été très utiles pour exposer au grand jour les données fondamentales et désormais irrécusables du changement climatique, sa lourdeur, la lenteur de ses procédures et le processus même de consensus qui le fonde ne lui permettent plus d'être un système d'alarme suffisammment précoce et efficace. 

Voila, quoi qu'il en soit, qui promet: entre la ligne "consensuelle" et celle plus "alarmante" (et non "alarmiste" - nuance),  il sera intéressant de suivre le devenir du GIEC, s'il subsiste, au cours des prochaines années.
(Les pessimistes diront même peut-être que le fait qu'il recoive un césar d'hon...pardon, un Prix Nobel de la paix, est sans doute le signe précoce d'une fin de carrière prochaine...)

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commentaires

J
<br /> Bonjour,<br /> <br /> Il semblerai que les données des sondes JASON montrent que le niveau des océans a probablement baissé en 2010. Quelle est votre opinion sur ce point?<br /> <br /> Pensez-vous toujours la même chose?<br /> <br /> <br />
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C
<br /> Il serait très intéressant d'actualiser votre article, pensez-vous toujours la même chose?<br /> <br /> <br />
Répondre
I
<br /> <br /> Oui, bien sûr, pour l'essentiel.<br /> <br /> <br /> <br /> Il me semble que tout ce qui se dit depuis sur le niveau marin, c'est bien que les estimations IPCC 2007 sont trop conservatrices.<br /> <br /> <br /> <br />
B
Article très clair, références judicieuses. Mériterait d'être davantage commenté. N'étant pas scientifique, je me permets simplement de saluer le travail (et d'y diriger un lien).
Répondre
I
<br /> Merci - l'idée est qu'en fait personne ne sait vraiment mettre de borne supérieure stricte à l'élévation du niveau de la mer d'ici 2100... Si les 5 mètres de Hansen paraissait davantage<br /> provocateurs qu'autre chose, il y avait encore récemment un article de Science (pfeffer et al) placant cette borne autour de 2m...<br /> http://www.sciencemag.org/cgi/content/abstract/321/5894/1340<br /> <br /> <br />