En sciences du climat, lorsqu'on s'interesse au climat de surface on se focalise souvent sur les variables de temperature, de pluie, voire de rayonnement. Mais - hormis dans le contexte des evenements extremes, ouragans et autres tempetes - on pense peut-etre moins souvent au vent. Evoquer brievement la notion de "ralentissement" de la circulation atmospherique l'autre jour dans ce post, m'a remis en tete (meme si ca n'est pas relie, on va le voir...) cet article de Vautard et al. paru il y a quelques mois dans Nature Geoscience: " Northern Hemisphere atmospheric stilling partly attributed to an increase in surface roughness" .
En se basant sur des donnees de station meteo, les auteurs y decrivent un ralentissement generalise des vents de surface (e.g., le vent a 10m de hauteur) dans l'hemisphere nord:
30-year surface (1979–2008) wind speed linear trend calculated over all of the available observations and each of the selected stations, in m s−1 per decade
Ce ralentissement avait apparemment deja ete note dans certaines regions, mais sans etre veritablement explique, et cette etude en fournit pour la premiere fois une vision a l'echelle global: une baisse de 5-15%, d'autant plus marquée que le vent est fort.
Si l'on ecarte l'hypothese, peu probable, d'un biais progressif generalise dans les mesures de vents (les auteurs conservent par ailleurs uniquement les "bonnes stations", soit environ 800 sur 10000..), un tel ralentissement peut etre du, a priori, a des changements de circulation atmospherique moyenne ou d'intensite des evenements synoptiques, ou bien a des effets de surface dans la couche limite, qui ralentiraient les vents.
Les auteurs eliminent plus ou moins la premieres hypothese en considerant d'evolution du vent plus en altitude (850 hPa et plus) dans les mesures de radiosondes, qui ne montrent pas ou peu de tendances, ainsi qu'en considerant les reanalyses (NCEP et ERA-Interim). Celles-ci ne montrent que peu de tendance (rien pour NCEP, entre 10 et 50% du signal observé pour ERA-Int)des vents en surface, comme on pourrait vraisemblablement s'y attendre s'il s'agissait de phenomenes atmospheriques de grande echelle (le vent d'altitude etant assimile dans les reanalyses). Enfin, les vents geostrophiques deduits des mesures de pression atmospherique ne montrent pas non plus de tendance negative.Tout cela pointe donc, selon les auteurs, vers une origine associee aux processus de surface.
Vautard et al. indiquent egalement que le fait que les reanalyses ne montrent pas de tendance des vents de surface, mais en reproduisent correctement la variabilite interannuelle, suggere que ce ralentissement provient de phenomene non-resolus par les reanalyses - typiquement, les effets de changement d'usage des sols ( une idee qui etait utilisee par Kalnay et Cai dans leur Nature de 2003, pour deceler l'impact de ces changements - incluant l'urbanisation - sur les temperatures de surface des US - methode dite OMR, Observations Minus Reanalysis)
Quel est donc ce changement d'etat des surfaces continentales qui entrainerait un ralentissement des vents ? Comme le titre de leur article l'indique, il s'agit pour les auteurs d'une augmentation de la "rugosite" de surface, due a l'augmentation de la vegetation sur les dernieres decennies.
En effet, plus la surface est "rugueuse", par exemple une forêt par rapport a une prairie, plus le vent est "freiné", par frottement, au contact de cette surface (et la turbulence augmentée).
Et l'on sait que la vegetation, et notamment la forêt, a eu tendance à se redévelopper aux moyennes/hautes latitudes de l'Hemisphere Nord au cours des dernieres décennies.
Pour faire le lien entre les deux, les auteurs prennent alors des données d'augmentation du puits de carbone terrestre aux latitudes nord (par satellite notamment) ; les convertissent "geométriquement" en une fourchette d'augmentation de rugosité de surface; convertissent cette dernière en baisse du vent, en se basant sur une étude de sensibilité avec un modèle régional de climat. Au total, entre 26 et 50% du signal de vent pourrait selon eux être expliqué par le changement de végétation. Ils corroborent cette analysant l'évolution de la végétation sur les sites de mesures eux-mêmes.
Bon, cette dernière partie de l'article est quand même moins convaincante (elle fait un peu trop "calcul de coin de table"...): à cette échelle on aurait préféré des simulations couplées végétation/atmosphère par exemple, forcées par l'évolution de végétation - mais bon l'article a justement l'attrait de se reposer essentiellement sur des obs. Et l'observation de la baisse généralisée des vents de surface est en elle-même particulièrement originale.
Les auteurs concluent sur l'enjeu pour la production d'électricité éolienne (on est dans Nature...). On peut aussi s'interroger sur l'impact de ces changements récents de surface et de rugosité sur les températures de surface mesurées à ces mêmes stations, à travers la modifications des échanges turbulents surface-atmosphère.