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26 février 2008 2 26 /02 /février /2008 10:18

Puisque j'en suis à ces histoires de biosphère, je m'étais promis de revenir sur une petite controverse de biosphériciens - un univers impitoyable, on vous dit ... - très précisément, entre l'équipe du Hadley Center au UK et celle du LSCE à Gif-sur-Yvette...

ll s'agit de savoir ce qui peut bien expliquer l'augmentation du ruissellement ("runoff") à l'échelle globale. En effet, Labat et al dans un article de Advances in Water Research en 2004 mettaient en évidence une augmentation gobale du runoff continental sur le dernier siècle, qu'ils avancaient dans cet article comme étant potentiellement lié au réchauffement climatique (+4% de runoff par °C de réchauffement) - voir ci-dessous- avec toutefois des fortes disparités régionales, bien entendu, et le signal reste très faible... Cela étant, ceci s'inscrit dans le cadre d'une intensification du cycle hydrologique global: davantage d'évaporation océanique, de contenu en vapeur d'eau de l'air, de précipitation - et donc, d'après ce papier, de runoff. 


labat_science.jpeg

Néanmoins, il n'est pas évident de savoir quel est le mécanisme principal à la source de cette augmentation de ruissellement: le runoff étant grosso modo, en moyenne, le bilan entre les précipitations continentales et l'évaporation, on peut penser à des modification en "entrée" sur les précipitations, via un effet direct du changement et de la variabilité climatique; ou en "sortie" sur l'évaporation, via le climat encore, ou des modifications de l'usage des sols ("land-use"), comme la déforestation, ou un effet des aérosols (plus d'"ombre", donc moins d'évaporation...), ou bien encore un effet de l'augmentation du CO2 atmosphérique sur la transpiration des plantes: davantage de CO2 leur permet de moins ouvrir leurs stomates, elles évaporent donc moins, générant ainsi davantage de ruissellement.

Premier épisode, Nicola Gedney et al (en l'occurence, notamment Peter "l'Amazonie-va-disparaître" Cox et Richard Betts) du Hadley Center, valide dans un Nature de l'été 2006 la dernière hypothèse: pour eux, ils détectent dans les tendances régionales de runoff un effet de la hausse du CO2 atmosphérique sur la conductance stomatique des plantes - essentiellement sur une période post-1960.
Pour en arriver là, ils forcent leur modèle de surface global avec les évolutions climat, CO2, aérosols et  land-use sur le XXè siècle, soit tout en même temps, soit chaque facteur isolément; et en considérant les patterns spatio-temporels de runoff observés et simulés dans les différents cas, ils en déduisent que l'effet du CO2 sur la fermeture des stomates est prépondérant sur les dernières décennies - et qu'en particulier l'évolution du climat n'est pas suffisante pour expliquer les variations de runoff:


gedney1.jpg
(PreO et RoO: tendances sur les precip' et runoff observées; jaunes: modèle, effets pris isolément; fit: modèle, effet total)
Voilà qui est surprenant - et ils ne manquent pas de s'en réjouir dans le papier...: il n'était pas du tout évident qu'une telle réponse, connue à l'échelle physiologique, ait un impact significatif à l'échelle globale... Ce qui est également surprenant, c'est l'effet quasi-nul dans leurs simulations de l'évolution du land-use sur le runoff: pour le coup voilà un phénomène dont on s'attendait bien à ce qu'il ait des conséquences globales...mais non.

Second épisode, un an après, réponse dans PNAS début août 2007 par Shilong Pio et al du LSCE (Pierre "C4MIP" Friedlingstein, Philippe Ciais, Nathalie de Noblet - et notamment aussi D.Labat, du premier article, ce qui est bien joué tactiquement parlant: ca donne une certaine caution au papier, puisqu'on veut ici expliquer "ses" obs...).
Et ils mettent d'entrée l'accent sur ce qui pose problème dans le travail des anglais: l'absence d'une végétation interactive... Car lorsque la végétation est calculée de façon explicite, l'augmentation de LAI (surface de feuilles /m2 de sol) qui résulte de la fertilisation par la hausse du CO2 peut tout à fait compenser la baisse simultanée de conductance stomatique: grosso modo, les stomates sont plus fermés, mais ils sont plus nombreux... En fait, avec le modèle de végétation global de l'IPSL (ORCHIDEE), une simulation sur le XXème siècle avec seule l'évolution du CO2 produit une faible diminution du runoff global - et non une augmentation comme pour les anglais - diminution qui est donc due à cet indice foliaire (LAI) qui augmente et dont l'augmentation compense l'effet "anti-transpirant" de la hausse de CO2. En revanche, lorsqu'on "coupe" l'augmentation de LAI, on obtient bien dans le modèle une hausse du runoff, de même ordre de grandeur(0.16 mm/an) que celle obtenue par les anglais...
Dans ORCHIDEE, l'effet net du CO2 sur la transpiration est donc positif (même si le rapport transpiration/LAI diminue bien) - les auteurs indiquent d'ailleurs que cela est davantage en accord avec de précédentes études de couplage climat-végétation, se payant le luxe d'en citer une de ... Betts et Cox.
La suite du papier est consacrée à analyser une simule "tout compris": climat, land-use, CO2 (pas d'aérosols cette fois-ci), pour montrer que les trois termes (CO2, climat, land-use) ont respectivement des effets de (-0.04, +0.13 et + 0.08) mm/an sur le runoff, avec de fortes disparités régionales toutefois:

pio_ndn_pnas1.jpeg

et qu'au total cela est plutôt cohérent avec les observations de Labat et al.

piao_ndn2.jpeg(bon, pour ceux qui pinailleraient sur les courbes, ca reste du modèle global, hein...)

Episode 3, fin août - dans la foulée - les anglais (les mêmes, mais dans le désordre), qui ont poursuivi entre-temps leurs travaux, sortent un second Nature (easy...), cette fois-ci (de façon logique dans une démarche de publication rapide et efficace, diront les mauvaises langues...) sur des projections pour le futur: toujours la même idée, l'effet "anti-transpirant" dû à la hausse du CO2 va générer une augmentation du runoff.
Sans rentrer dans les détails (notamment qu'ils ont pu réaliser un ensemble de 224 (!) simulations en faisant varier pleins de paramètres...), la hausse de runoff dans leur modèle, lorsqu'on se place classiquement à 2XCO2 (le double de la concentration atmosphérique pré-industrielle de CO2) est de 17% par rapport au pré-industriel lorsqu'on considère les effets "changement climatique" et "CO2-antitranspi" ensemble - alors que l'effet sur le runoff du changement climatique seul (résultant de ce doublement de CO2) est une augmentation de 11% (car davantage de pluie, essentiellement): l'effet du CO2 sur la conductance stomatique est donc très significatif en terme de runoff... 
Ils en concluent que les simulations pour le futur qui ne prennent pas en compte l'effet "physiologique" du CO2 tenderont nécessairement à sous-estimer la hausse du runoff (et ainsi, par exemple, à dramatiser la baisse de disponibilité future des réserves en eau...) - bien que la baisse de transpiration qui en est la cause puisse aussi augmenter davantage la température au sol...
Bon - tout cela est cohérent bien entendu avec leur premier article; mais, cette fois-ci, les auteurs discutent quand même, en bout de papier, le fait que l'effet "fertilisant" du CO2 (augmentation de la surface foliaire) puisse contre-carrer l'effet "antitranspirant" (ahaa...) - ce qu'il ne prennaient donc pas en compte jusqu'ici ...
Alors, pour lui faire un sort, ils reprennent deux simulations pour le XXIème, au cours desquelles le CO2 augmente progressivement jusqu'à quasiment 2xCO2, et où le LAI est cette fois-ci autorisé à varier et la végétation à évoluer: mais dans un cas le CO2 influe sur la physiologie des plantes (anti-transpirant et fertilisant), dans l'autre non.
Résultat: vaille que vaille, le runoff augmente toujours davantage dans la simulation avec effet physiologique du CO2 que dans celle sans effet physio - et il augmente plus ou moins dans les mêmes proportions que dans l'expérience précédente, à végétation prescrite...

Alors: cela invalide-t-il la réponse du LSCE dans l'épisode 2 (où l'effet d'une hausse du CO2 était une faible diminution du runoff ) ?
Well, on peut considérer en premier lieu que l'effet fertilisant du CO2 a de bonnes raisons de saturer à un moment ou à un autre quand le CO2 augmente, en tout cas probablement quelque part avant d'atteindre 2xCO2 - donc, en supposant qu'il n'en soit pas de même pour l'effet "antitranspirant", ce dernier va probablement finir par dominer la réponse finale - une hausse de runoff, donc. Piao et al l'indique bien dans leur PNAS, d'ailleurs: l'effet net de la hausse de CO2 sur la transpiration, et donc le runoff, dépend de la gamme d'augmentation de CO2 considérée. Donc pour le coup, Reading et Gif-sur-Yvettes peuvent bien avoir raison en même temps, l'un pour l'actuel et l'autre pour le futur - l'effet anti-transpirant l'emportant, au cours du XXiè siècle, sur l'effet fertilisant.
Mais d'autre part, on peut quand même s'interroger sur ce qui se passe dans le modèle des anglais dans leur simulations finales avec végétation dynamique (c'est-à-dire que la végétation a le "droit" de se déplacer sous l'effet du changement climatique...). Si comme dans leurs précédents papiers sur le sujet, ils simulent, par exemple, un effondrement complet de la forêt amazonienne, il n'est pas étonnant d'y voir le runoff augmenter un bon coup... Bref, ils ne montrent rien, il faudrait avoir les cartes sous les yeux pour discuter, notamment des effets relatifs de la dynamique de la végétation et du CO2 "physiologique"  - et bien entendu il serait intéressant de voir ce que donne ORCHIDEE dans ce genre de configuration sur le XXIème siècle: simulerait-il également une hausse de runoff et si oui, d'ampleur similaire ?
Bref, on attend donc l'épisode 4, inch'allah, avec la réponse de Gif sur les perspectives pour le XXIè en terme de runoff continental - to be continued... 

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commentaires

D
Bonsoir<br /> je découvre ce blog intéressant, je me permets juste de signaler que N. Gedney m'avait aussi contacté pour avoir mes "données" pour son papier dans nature et que je les lui avais fourni avec plaisir (je suis dans les remerciements ;-) ) . <br /> Bonne soirée<br /> <br /> d labat
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I
bonjour, merci de passer par ici... j'avais pas vu pour les remerciements (ca m'apprendra à lire jusqu'au bout... :-) ), mais bon j'imagine bien que s'ils avaient eu la place de mettre ds leur Nature les courbes de runoff par région comme Piao et al, Gedney et al vous auraient aussi mis comme co-auteur (parler de considération "tactiques" n'est pas très pertinent de ma part :-)... Sinon entre les deux explications (Hadley et Lsce), vous avez une préférence ?
M
heu...<br /> <br /> je n'ai pas compris ce qu'etait le runoff
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I
ah zut.. je suis pas clair alors... disons que c'est l'eau qui ruisselle sur tes continents, à grande échelle, et court jusqu'à la mer . les fleuves et rivières, quoi - principalement.