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23 mars 2011 3 23 /03 /mars /2011 17:34

Bon, je recycle ici à l'évidence un petit quelque chose de déjà écrit, mais c'est surtout pour faire disparaître ces affreux bandeaux publicitiaires qui se sont mis à infester le site en mon absence...

 

 

En dehors de la problématique de l’impact de l’évolution du climat sur les ressources agricoles, une question liant changement climatique et agriculture est celle de la rétroaction sur le climat que peut potentiellement exercer la transformation, à grande échelle, d’espaces naturels en zones agricoles – ou pour des zones déjà anthropisées, des modifications importantes de gestion des surfaces (par exemple, développement de l’irrigation). En effet, l’agriculture est l’activité par laquelle l’homme modifie le plus, en termes de surface, l’environnement et les paysages naturels : aujourd’hui, environ 12% des surfaces continentales (hors zones englacées) sont occupées par des cultures, et 22% par des zones de pâturage. Ce sont donc plus du tiers des zones de végétation naturelle (forêts, prairies, savanes) qui ont ainsi été converties à l’agriculture. Sur les derniers siècles, ce sont essentiellement des zones des moyennes latitudes qui ont été converties (fig.1a). Si l’expansion des terres agricoles s’est au cours des dernières décennies ralentie par rapport aux siècles précédents, du fait notamment de la hausse de la productivité agricole, les différents scénarios socio-économiques pour le XXIème siècle prévoient néanmoins généralement, sous la contrainte principalement de l’augmentation de la population, un accroissement des zones agricoles, principalement cette fois dans les zones tropicales (fig.1b, ici pour le scénario A2 utilisé dans le 4ème rapport du GIEC). Il existe toutefois une incertitude importante, entre scénarios et modèles socio-économiques, quant à l’importance de cet accroissement, qui dépend par exemple fortement des hypothèses sur l’accroissement futur de la productivité agricole. 

 

 

davin2007_fig1-copie-1.jpg

Fig.1 : Changement de la fraction anthropique par pixel (part du pixel entre 0 et 1, dévolue aux zones agricoles – prairies et cultures) a), entre 1860 et 1992, b) entre 1992 et 2100 dans le cas d’un scénario socio-économique A2. Tiré de Davin et al. (2007).

 

Effets biogéochimiques

Cette importante transformation de la végétation n’est pas neutre d’un point de vue climatique. Tout d’abord, elle a des conséquences sur les grands cycles biogeochimiques (carbone, azote), et donc sur les concentrations atmosphériques de gaz à effet de serre. Ainsi, les zones cultivées étant plus pauvres en carbone que les prairies ou forêts qu’elles remplacent (en termes de carbone présent dans les sols et dans la végétation), la conversion de zones naturelles à l’agriculture résulte en un flux net de CO2 vers l’atmosphère, qui peut donc participer au réchauffement du climat. On estime par exemple qu’entre 12 et 26% des émissions anthropiques de CO2 pendant la décennie 1990 proviennent de la déforestation tropicale - la majeure partie de cette déforestation s’étant effectuée à des fins agricoles (plus de 70%, selon le rapport GEO-3 de l’UNEP). Qui plus est, ces nouveaux agrosystèmes pouvant alors stocker moins de carbone que les écosystèmes qu’ils remplacent, la capacité de la biosphère à séquestrer par la suite une partie du carbone atmosphérique d’origine anthropique (le « puits biosphérique ») s’en trouve diminuée. D’autre part, les cultures installées en lieu et place de la végétation naturelle peuvent être elles-mêmes des sources directes de gaz à effet de serre : ainsi, selon les différentes estimations (GIEC, 2007) les émissions de méthane issues des rizières représentent entre 12 et 23 % des émissions anthropiques de CH4. De même l’agriculture, principalement à travers l’usage des fertilisants azotés, est responsable de plus de 40% des émissions anthropiques de N2O (GIEC, 2007). L’agriculture contribue ainsi de façon majeure aux émissions de GES responsables du changement climatique actuel. Certains suggèrent même, en se basant sur les mesures de GES obtenues dans les carottes de glace, que les émissions de GES ont été assez significatives dès les débuts de l’agriculture (donc de la déforestation), il y a environ 6000 ans au début de l’Holocène, pour avoir empêché un refroidissement significatif du climat à cette époque dans un contexte de baisse de l’insolation (Ruddiman et al. 2003). Néanmoins cette hypothèse reste éminemment controversée.

 

Effets biogéophysiques

En plus de ces effets biogéochimiques, la conversion d’écosystèmes naturels en zones cultivées peut également influer sur le climat par des effets biogéophysiques. En effet, si pendant longtemps la végétation n’a été envisagée, en particulier dans le domaine de la biogéographie, que comme une « projection », unidirectionnelle, du climat, on sait aujourd’hui qu’elle influence physiquement, en retour, les conditions climatiques, en participant à la régulation des échanges d’énergie, radiatifs et turbulents, entre la surface et l’atmosphère. Ainsi, à travers ses propriétés radiatives, la végétation participe à déterminer l’albédo de la surface, et donc la part du rayonnement solaire incident absorbé. Par sa capacité à réguler, à travers sa transpiration, le flux d’eau vers l’atmosphère, elle contrôle la partition de l’énergie disponible en surface (le rayonnement net) en flux de chaleur latente et flux de chaleur sensible, et participe ainsi à déterminer la température de surface. Elle influe également sur la rugosité de la surface - sa capacité à s’opposer au mouvement des masses d’air en créant une force de friction. Une présentation plus détaillée de ces différents effets est proposée par exemple par Pielke et al. (2001). Le résultat en est qu’à travers ces propriétés, la végétation façonne en partie les conditions climatiques de son environnement. Remplacer à grande échelle un type de végétation (naturelle) par un autre (cultivée), présentant des propriétés biogéophysiques différentes (albédo, rugosité, efficience d’évaporation), avec un cycle annuel différent (l’agriculteur gérant par exemple le semis et la récolte), et dans certains cas soumis à des conditions de croissance plus favorable (irrigation, fertilisation), modifie donc les interactions surface/atmosphère, et peut in fine résulter en des conditions climatiques différentes, au moins au niveau local. La figure 2 illustre par exemple ceci dans le cas théorique d’une déforestation.

 

figure_foley.png

Fig.2 : effet d’une déforestation sur les échanges surface-atmosphère et les conditions climatiques locales. Tiré de Foley et al. (2003).

 

L’effet net sur le climat de la modification de l’usage des sols par l’homme est donc la combinaison de ces effets biogéochimiques et biogéophysiques. Les émissions de gaz à effet de serre (GES) associées aux rétroactions biogéochimiques ont globalement un effet réchauffant sur le climat ; cependant la quantité exacte de GES émis par l’évolution de l’occupation des sols reste difficile à estimer : le GIEC indique ainsi que le changement d’occupation des sols entre l’époque préindustrielle et le présent a contribué à une augmentation de la concentration de CO2 atmosphérique dans une fourchette allant 12 à 35 ppm - soit un forcage radiatif de 0.19 à 0.56 W.m-2. L’ampleur du réchauffement associé reste donc incertaine. En ce qui concerne les effets biogéophysiques, le GIEC estime que les modification d’albédo résultant du changement d’occupation des sols entre l’époque préindustrielle et aujourd’hui est responsable d’un forçage radiatif négatif modeste de -0.2 ± 0.2 W.m-2. Ceci correspond donc à un effet globalement refroidissant sur le climat, mais qui reste lui aussi largement incertain et surtout qui ne prend pas en compte tous les processus biogéophysiques, par exemple ceux associés aux modifications de la partition d’énergie de surface en flux turbulents (évaporation et flux de chaleur sensible). Etant donné ces incertitudes, le bilan net (biogéochimique et biogéophysique) de la modification de l’usage des sols sur le climat reste donc aujourd’hui mal connu.

 

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