12 novembre 2009
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18:23
Est-ce l'approche de l'hiver (bien oui, quand il fait froid, c'est que le réchauffement climatique s'est arreté...) ? une réaction au battage médiatique qui monte autour des futures négociations climatiques de Copenhague (un succès annoncé...) ? Toujours est-il qu'on semble en ce moment assister à un petit retour de flamme du "climato-scepticisme" (faute de pouvoir l'appeler autrement), à la faveur des nombreuses sorties d'Allègre (encore récemment dans le Parisien, apparemment), des conférences de Courtillot, de réactions à certains articles du Monde, et, dernier en date, d'une interview de Serge Galam sur Rue89 (Serge Galam, déjà l'auteur d'un papier cultissime dans LeMonde il y a 2 ans... à lire absolument si vous avez deux minutes et envie de rigoler), et d'un très étrange reportage au JT de france 2 il y a quelques jours (qqn en a fait un commentaire bien tourné ici).
Ces réactions de personnes supposément "autorisées" appellent ensuite évidemment à chaque fois une cascade de réactions de sceptiques de base, qui se réjouissent de voir ainsi "le consensus se fissurer, enfin", et qui lorsqu'on essaie de les raisonner ressortent l'habituelle litanie des arguments sceptiques qu'on retrouve à tous les coups, et que TomRoud a résumé dans sa version du Bingo des sceptiques du climat.
Evidemment, les réponses à tous ces "arguments" ont déjà été exposées mille fois, mais je voulais juste en reprendre un classique qu'on retrouve quand même régulièrement un peu partout, qui ne meurt jamais, à savoir qu'on ne peut rien dire du climat dans quelques décennies puisque'on ne sait "même pas" prévoir le temps à 3 jours... En fait j'en profite surtout pour réutiliser une petite analogie que je faisais à mes étudiants en info avec l'effet papillon (en licence... c'est dire le niveau de l'argument).
L'effet papillon a été "inventé" par Lorenz dans les années 70: l'idée est que l'atmosphère est un système dynamique extrêmement sensible aux conditions initales. Quelle que soit la différence la plus infinitésimale dans ces conditions initales, au bout d'un certain temps cette différence se propagera inévitablement à l'ensemble du sytème, qui évoluera alors sur une "trajectoire" différente (le battement d'ailes du papillon créé une tempête etc...). Autrement dit l'atmosphère est un sytème chaotique: à une certaine échéance, même en connaissant les conditions initales et les équations qui gouvernent son évolution, son état n'est plus prédictible. Remarquons que chaotique ne signifie pas "imprévisible" dans l'absolu: il y a une notion d'échéance de temps. Par exemple les trajectoires des corps du système solaire sont chaotiques, mais ca n'empêche pas de les calculer pour une certaine période... Pour l'atmosphère on estime cette échéance du "mur" à une quizaine de jours - ce qui explique qu'on soit sûr de ne jamais pouvoir prédire le temps au-delà.
Lorenz a "montré" cela numériquement (l'idée de chaos déterministe existant en fait déjà depuis Poincaré au début du XXè siècle) , en étudiant non l'atmosphère - trop complexe pour les capacités informatiques de l'époque - mais le sytème d'équations suivant (modèle de convection de Raleigh-Bénard):
On peut aujourd'hui facilement résoudre ce système numériquement avec un petit logiciel de type Scilab. Tout comme Lorenz, on montre effectivement qu'une toute petite différence dans les conditions initiales finit toujours par aboutir à une trajectoire du système différente. Par exemple si on trace y en fonction du temps pour deux simulations différant de E-5 en z0:
on voit que la différence a bien été amplifiée - le système s'est mis sur une "trajectoire" différente.
On peut faire l'analogie avec la météo: c'est, fondamentalement, un problème de conditions initales (même si il y a aussi un pb d'erreurs modèle, évidemment...). Elle s'intéresse à déterminer la trajectoire exacte du système, connaissant ses conditions initales, sur les premiers pas de temps.
En revanche, quelles que soient ces conditions initales, quand on laisse filer le temps la solution se promène toujours sur "l'attracteur" du système - une espèce de trajectoire "moyenne". On sait que le sytème se trouve sur l'attracteur, mais on ne sait pas où exactement. Pour un certain set de paramètres (sigma, rho, gamma), il se trouve que cet attracteur, dans l'espace (x, y, z), a la forme d'un papillon (mais rien à voir avec l'effet du même nom ! ). Ainsi:
Maintenant, si on change un peu les paramètres du système, on obtient un attracteur d'une forme légèrement différente (en rouge ci-desous).
On peut faire l'analogie avec le climat: la climatologie s'intéresse à la relation entre les paramètres et la forme du papillon... pas à la position du système sur l'attracteur à un temps t très lointain ! Fondamentalement, il s'agit d'un problème de conditions aux limites (les paramètres sont assimilables à des conditions aux limites). Par exemple comment évolue "l'attracteur" (le climat) avec un effet de serre additionnel anthropique. Cette relation-là n'est pas "chaotique".
La connaissance des conditions initiales ne jouent plus un grand rôle ici - on pourrait considérer qu'il s'agit en fait davantage d'études de sensibilité. Ainsi les projections climatiques réalisées avec des modèles couplés atmosphère/océan ne cherchent-elles pas à démarrer à partir de l'état réel de l'atmosphère et de l'océan -qui correspondrait à celui observé le jour où la simulation est censée débuter (elles démarrent plutôt à partir d'un état moyen du modèle, qui simule en quelques sortes "son" propre climat à l"équilibre, en l'absence de forcages extérieur). Ceci notamment parce que de toutes façons, à l'échéance de quelques décennies, la réponse "forcée" du modèle à de nouvelles conditions aux limites ne dépend plus des conditions initiales. La mémoire de celles-ci a été "perdue".
Evidemment, plus on réduit l'échelle de temps, moins cela est vrai. Ainsi, à l'échelle d'une décennie, l'influence de l'état initial sur la trajectoire climatique (par exemple l'évolution de la T° globale) est déjà beaucoup plus importante - à cause principalement de la mémoire de l'océan. Cela explique qu'on puisse paradoxalement avoir plus de confiance dans les prévisions à long terme des modèles que les prévisions à quelques années. Bien sûr, les climatologues espèrent aussi qu'en initialisant correctement les modèles aux observations d'aujourd'hui et en les laissant tourner sur 5-10 ans, ils pourront dire quelquechose sur le climat des 5-10 prochaines années. Le problème, c'est que tous les modèles ont évidemment des biais (des températures de mer trop chaudes ici, un courant de travers ici, un biais atmosphérique froid là...), et que lorsqu'on initialise le modèle sur l'état réel à t et qu'on le "lache", la première réponse qu'on voit est que le modèle... recréé ses biais. Donc ce domaine, tout récent, de la prévision "décennale", qui commence tout juste à émerger et à produire des premiers résultats, reste encore très incertain. C'est dans ce contexte qu'il faut prendre les très médiatisées (LeMonde, Le parisien, la BBC...) prévisions d'une "pause dans le réchauffement dans les 10 prochaines années" de Latif et al. récemment. On peut d'ailleurs noter qu'un autre papier dans Science en 2007 de Smith et al., réalisant le même exercice avec une méthodologie légèrement différente, obtenait des résultats différents.
Voilà pour la petite analogie - et la petite digression décennale - évidemment très grossière - enfin, je l'avais déjà mis, mais je ne résiste pas au plaisir de vous renvoyer vers le véritable effet papillon...
Ces réactions de personnes supposément "autorisées" appellent ensuite évidemment à chaque fois une cascade de réactions de sceptiques de base, qui se réjouissent de voir ainsi "le consensus se fissurer, enfin", et qui lorsqu'on essaie de les raisonner ressortent l'habituelle litanie des arguments sceptiques qu'on retrouve à tous les coups, et que TomRoud a résumé dans sa version du Bingo des sceptiques du climat.
Evidemment, les réponses à tous ces "arguments" ont déjà été exposées mille fois, mais je voulais juste en reprendre un classique qu'on retrouve quand même régulièrement un peu partout, qui ne meurt jamais, à savoir qu'on ne peut rien dire du climat dans quelques décennies puisque'on ne sait "même pas" prévoir le temps à 3 jours... En fait j'en profite surtout pour réutiliser une petite analogie que je faisais à mes étudiants en info avec l'effet papillon (en licence... c'est dire le niveau de l'argument).
L'effet papillon a été "inventé" par Lorenz dans les années 70: l'idée est que l'atmosphère est un système dynamique extrêmement sensible aux conditions initales. Quelle que soit la différence la plus infinitésimale dans ces conditions initales, au bout d'un certain temps cette différence se propagera inévitablement à l'ensemble du sytème, qui évoluera alors sur une "trajectoire" différente (le battement d'ailes du papillon créé une tempête etc...). Autrement dit l'atmosphère est un sytème chaotique: à une certaine échéance, même en connaissant les conditions initales et les équations qui gouvernent son évolution, son état n'est plus prédictible. Remarquons que chaotique ne signifie pas "imprévisible" dans l'absolu: il y a une notion d'échéance de temps. Par exemple les trajectoires des corps du système solaire sont chaotiques, mais ca n'empêche pas de les calculer pour une certaine période... Pour l'atmosphère on estime cette échéance du "mur" à une quizaine de jours - ce qui explique qu'on soit sûr de ne jamais pouvoir prédire le temps au-delà.
Lorenz a "montré" cela numériquement (l'idée de chaos déterministe existant en fait déjà depuis Poincaré au début du XXè siècle) , en étudiant non l'atmosphère - trop complexe pour les capacités informatiques de l'époque - mais le sytème d'équations suivant (modèle de convection de Raleigh-Bénard):
On peut aujourd'hui facilement résoudre ce système numériquement avec un petit logiciel de type Scilab. Tout comme Lorenz, on montre effectivement qu'une toute petite différence dans les conditions initiales finit toujours par aboutir à une trajectoire du système différente. Par exemple si on trace y en fonction du temps pour deux simulations différant de E-5 en z0:
on voit que la différence a bien été amplifiée - le système s'est mis sur une "trajectoire" différente.
On peut faire l'analogie avec la météo: c'est, fondamentalement, un problème de conditions initales (même si il y a aussi un pb d'erreurs modèle, évidemment...). Elle s'intéresse à déterminer la trajectoire exacte du système, connaissant ses conditions initales, sur les premiers pas de temps.
En revanche, quelles que soient ces conditions initales, quand on laisse filer le temps la solution se promène toujours sur "l'attracteur" du système - une espèce de trajectoire "moyenne". On sait que le sytème se trouve sur l'attracteur, mais on ne sait pas où exactement. Pour un certain set de paramètres (sigma, rho, gamma), il se trouve que cet attracteur, dans l'espace (x, y, z), a la forme d'un papillon (mais rien à voir avec l'effet du même nom ! ). Ainsi:
Maintenant, si on change un peu les paramètres du système, on obtient un attracteur d'une forme légèrement différente (en rouge ci-desous).
On peut faire l'analogie avec le climat: la climatologie s'intéresse à la relation entre les paramètres et la forme du papillon... pas à la position du système sur l'attracteur à un temps t très lointain ! Fondamentalement, il s'agit d'un problème de conditions aux limites (les paramètres sont assimilables à des conditions aux limites). Par exemple comment évolue "l'attracteur" (le climat) avec un effet de serre additionnel anthropique. Cette relation-là n'est pas "chaotique".
La connaissance des conditions initiales ne jouent plus un grand rôle ici - on pourrait considérer qu'il s'agit en fait davantage d'études de sensibilité. Ainsi les projections climatiques réalisées avec des modèles couplés atmosphère/océan ne cherchent-elles pas à démarrer à partir de l'état réel de l'atmosphère et de l'océan -qui correspondrait à celui observé le jour où la simulation est censée débuter (elles démarrent plutôt à partir d'un état moyen du modèle, qui simule en quelques sortes "son" propre climat à l"équilibre, en l'absence de forcages extérieur). Ceci notamment parce que de toutes façons, à l'échéance de quelques décennies, la réponse "forcée" du modèle à de nouvelles conditions aux limites ne dépend plus des conditions initiales. La mémoire de celles-ci a été "perdue".
Evidemment, plus on réduit l'échelle de temps, moins cela est vrai. Ainsi, à l'échelle d'une décennie, l'influence de l'état initial sur la trajectoire climatique (par exemple l'évolution de la T° globale) est déjà beaucoup plus importante - à cause principalement de la mémoire de l'océan. Cela explique qu'on puisse paradoxalement avoir plus de confiance dans les prévisions à long terme des modèles que les prévisions à quelques années. Bien sûr, les climatologues espèrent aussi qu'en initialisant correctement les modèles aux observations d'aujourd'hui et en les laissant tourner sur 5-10 ans, ils pourront dire quelquechose sur le climat des 5-10 prochaines années. Le problème, c'est que tous les modèles ont évidemment des biais (des températures de mer trop chaudes ici, un courant de travers ici, un biais atmosphérique froid là...), et que lorsqu'on initialise le modèle sur l'état réel à t et qu'on le "lache", la première réponse qu'on voit est que le modèle... recréé ses biais. Donc ce domaine, tout récent, de la prévision "décennale", qui commence tout juste à émerger et à produire des premiers résultats, reste encore très incertain. C'est dans ce contexte qu'il faut prendre les très médiatisées (LeMonde, Le parisien, la BBC...) prévisions d'une "pause dans le réchauffement dans les 10 prochaines années" de Latif et al. récemment. On peut d'ailleurs noter qu'un autre papier dans Science en 2007 de Smith et al., réalisant le même exercice avec une méthodologie légèrement différente, obtenait des résultats différents.
Voilà pour la petite analogie - et la petite digression décennale - évidemment très grossière - enfin, je l'avais déjà mis, mais je ne résiste pas au plaisir de vous renvoyer vers le véritable effet papillon...