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8 mars 2009 7 08 /03 /mars /2009 18:06

Les histoires de carbone stocké dans les forêts continuent d'être une source profilique de papier dans Nature/Science: coup sur coup deux articles sur le sujet (plus précisément sur les forêts tropicales): l'un en amazonie ("Drought sensitivity of the Amazon Rainforest"), l'autre sur l'Afrique ("Increasing carbon storage in intact African tropical forests"). A suivre cela d'un peu loin, on s'y perd parfois un peu: puits de CO2, pas puits, ces forêts ? si oui/non, pourquoi ?
  


Les forêts tropicales, bien qu'elles ne représentent que ~10% des surfaces continentales, jouent un rôle important dans le cycle du carbone: en termes de flux - par exemple leur production primaire (assimilation par photosynthèse) compte pour un tiers de la production globale - et de stoks - elles contiennent plus de 25% du C stocké dans la biosphère (estimations dans Bonan et al 2008, mais d'autres sont supérieures).
Donc bien sur, couper une forêt tropicale, c'est relarguer du carbone dans l'atmosphère - car ce qu'il la remplacera sera nécessairement moins riche en C - et inversement une forêt qui repousse, c'est du carbone stocké.

Bon - mais intuitivement, une forêt mature, non perturbée, dans un environnement constant, devrait finir par être plus ou moins à l'équilibre: autant de C relâché qu'absorbé. Cependant, la plupart des mesures sur sites, dans des forêts tropicales non perturbées, montrent, sur les dernières décennies, un accroissement de biomasse - qui correspond donc à un stockage de C "sur pied".  Ainsi, Lewis et al, dans le Nature d'il y a 2 semaine, montrent que les forêts tropicales africaines "primaires" (non perturbées par l'homme) stockent du C: à partir d'un suivi forestier recensé sur environ 80 sites de 1968 à 2007, ils déduisent un stockage  annnuel de C de 0.63 tC/ha/an. Ces données complètent de précédentes études sur l'Amazonie (Philips et al, 1998, Baker et al, 2004) montrant que la forêt amazonienne primaire stocke également du Carbone. Et les cumulant avec l'étude de Chave et al (2008 - open access), qui contient en plus des données sur l'Asie, ils estiment finalement un puits de C total pour les forêts tropicales de 1.3 GtC/an (les émissions humaines actuelles étant de 8-9 GtC/an) - ce qui, notent-ils au passage, est cohérent avec d'autres estimations récentes (Stephens et al, 2007) par inversion de mesures atmosphériques.
A noter, également, que récemment  Luyssaert et al montraient un résultat similaire pour les forêts tempérées et boréales. 

La question qui se pose semble donc surtout être, plus que le constat, l'origine de cette croissance et de ce stockage de C: faut-il en chercher la cause dans des modifications de l'environnement, ou dans le fait que ces forêts ne sont en fait pas si "non perturbées" que ca ? Autrement dit, est-ce une conséquence actuelle de la "fertilisation" par accroissement du CO2 - voire de modifications climatiques simutanées? ou plutôt, mesure-t-on en fait simplement un "retour à l'équilibre" des forêts à partir de perturbations passées (comme de fortes sécheresses, ou feux, lors d'El Nino violents ) ? En effet, étant donnée le temps de "recouvrement" de ces forêts (plusieurs siècles), des perturbations passées, non documentées dans ces régions, pourraient encore se refléter dans des mesures actuelles.
La question ne semble pas encore tranchée: Lewis et al. penchent clairement, pour la première hypothèse (un effet CO2); Chave et al pour la seconde - et d'autres pour un peu des deux, bien sûr.

Voilà pour les tendances récentes - mais quid de l'avenir ? Là, les choses ne sont pas très claires non plus... Beaucoup d'intérêt se porte sur l'Amazonie, notamment depuis que l'équipe britannique du Hadley Center a projeté, à l'aide d'un modèle couplant végétation et climat, un massif "dieback" (effondrement) de la forêt amazonienne, par assèchement et rétroaction de la végétation (Betts et al 2004). Nénmoins, tous les modèles de ce type ne prévoient pas une telle évolution. Et comme souvent sous les Tropiques, les modèles plus standards de l'IPCC (n'incluant pas le comportement de la végétation), quant à eux, ne font pas ressortir de tendance consensuelle en termes de précipitations sur l'Amazonie dans son ensemble (Li et al, 2006) -  à part peut-être sur l'Est de la région (celle qui précisément est activement déforestée et cultivée) qui devrait s'assécher (Malhi et al, 2008 -p2).
C'est dans ce contexte que l'Amazonie a connu, en juillet-octobre 2005 (c'est-à-dire durant la saison déjà relativement "sèche"), une sécheresse très marquée - l'une des plus intense du siècle. L'occasion, donc, d'étudier sa sensibilité au déficit de précipitation: si les "diebackers" ont raison, un tel épisode doit se traduire par une réduction importante de la transpiration et de la photosynthèse. Or, dans un Science de 2007, Saleska et al montraient à l'aide de données satellites qu'au contraire la forêt avait... verdi durant cette sécheresse:


La raison selon eux: les arbres sont bien adaptés aux saisons sèches, ont de profonds systèmes racinaires capables d'aller chercher l'eau même lors d'une telle sécheresse - et en revanche ils ont tiré profit d'un rayonnement solaire accru (moins de nébulosité) (Huete et al, 2006). En tout cas, ce verdissement est incompatible avec un stress hydrique majeur du système forestier - et semble indiquer que l'Amazonie est plus résistante que prévue.
Mais voilà que dans le Science de cette semaine, Philips (le même que ci-dessus) et al indiquent qu'au contraire la sécheresse de 2005 a causé des dégâts considérables, au point que les zones affectées ont perdu de la biomasse et se sont transformées, de puits, en source de CO2: d'après, encore une fois, des mesures sur plus d'une centaine de sites, ils dérivent une "sensibilité" de la cette réponse à la sécheresse (5.3tC/ha par 100mm de pluie en moins), et estiment une perte totale de Carbone sur l'ensemble de la zone touchée de 1.2 à 1.6 GtC - autrement dit, significatif par rapport aux émissions humaines, et ce qui expliquerait l'accroissement de concentration atmosphérique en CO2 très marqué en 2005 (le 3è plus important enregistré). 
Voilà qui parait donc difficile à reconcilier avec le récit d'un "verdissement" durant la sécheresse - d'ailleurs Philips et al ne s'y essaient pas, indiquant juste que ce verdissement n'est qu'"apparent". Affaire sans doute à suivre, donc - mais la balance semble plutôt pencher en faveur de ceux qui ont les données "terrain".




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commentaires

A
Très bonne synthèse des discussions en cours.<br /> Mais pour la publication dans Science, ce qui n'est pas expliqué, c'est le calcul qui permet de passer des sites mesurés au total pour l'ensemble de l'Amazonie...Il n'y a pas obligatoirement incompatibilité entre les données terrain et les données satellite...
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I
<br /> c'est un peu toujours la même chose dans ce genre d'études je crois: les mesures sur sites sont simplement extrapolées à l'ensemble du massif affecté par la sécheresse (donc c'est une estimation à<br /> grande louche).<br /> <br /> <br />
E
tres bien
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