Alors que les prix du pétrole dépassent les 110$ - et que les journaux se creusent durement les méninges pour trouver des synonymes aux expressions "prix records", "barre symbolique", et "c'est la spéculation/les tensions géopolitiques/la faute à la Chine" on peut prendre quelques graphs simples pour s'éclaircir un peu les idées...
La production mondiale de "pétrole" (tout types confondu, par exemple y compris sables bitumeux et agrocarburants):
On voit que depuis 2004 environ la production plafonne.
Les prix du "Light Sweet Crude":
et vous pouvez prolonger un peu la courbe, pour arriver à 110$ début 2008 (soit grosso modo 10 fois plus qu'il y a 10 ans).
1°) Il est donc bien tentant de relier la hausse depuis 2004 au graph précédent, avec une interprétation simple: l'offre, désormais, plafonne, la demande (la "croissance") augmente régulièrement, les prix décollent. Les investisseurs, dernièrement, enterinent ce phénomène en spéculant à la hausse - bien que la grosse récession américaine (mondiale ?) puisse, parait-il, peut-être faire rechuter un peu les prix prochainement en faisant un peu baisser la demande.
2°) Qu'en déduire d'autre? au niveau de la production, on pourrait dire il y a déjà eu de tels petits "plateaux" (par exemple dans les années 90), à la suite desquels la production est repartie à la hausse: cependant les prix étant restés bas et stables, cela suggèrant que la demande était satisfaite. La leçon est ici que, les prix étant montés de facon régulière assez haut depuis quelques années, la production devrait être stimulée: il y a une forte incitation à produire. Or l'offre plafonne: on serait donc tentés de dire, elle plafonne "tous robinets ouverts". Même Bush (je devrais dire, surtout Bush, dont la politique extérieure parait fondée sur l'idée même du peak Oil), qui en 2004 disait que 50$ le baril était une incitation suffisante pour que les grandes compagnies (Big Oil) et les pays producteurs fassent ce qu'il faut pour augmenter leur production, dit aujourd'hui qu'il est difficile de demander à l'OPEP de mettre sur les marchés des barils supplémentaires qu'ils ne peuvent pas produire). L'offre ne semble donc pas pouvoir augmenter, du moins à court terme.
En outre, un certain nombre - grandissant - de pays voient déjà leur production décliner irréversiblement, et tout supplément de production quelque part servira donc d'abord à compenser une baisse de production ailleurs (le syndrôme de la "Reine Rouge", tiens). Comme apparement on connait bien les taux de déclins, on peut voir ca comme ca par exemple:
Notez la petite courbe de 2% de croissance, qui donne un estimation de la demande mondiale à venir.
Enfin, il est aussi bien connu que l'essentiel des découvertes est déjà derière nous:
De là à en déduire que nous avons atteint, ou sommes bien proches d'atteindre, le pic de production, il n'y a donc vraiment pas loin...
Pour mémoire le scénario (2004 je crois) de l'ASPO (conventionnel et non-conventionnel)
...tout ca devant pouvoir varier de quelques années (il manque des barres d'erreurs, quoi)
Restent donc à discuter les implications pour l'économie d'une baisse - irréversible - de la production de pétrole, à partir de 2010-2020. Notamment de savoir quelle est la relation entre hausse du PIB ("croissance") et consommation de pétrole, quand celle-ci part à la baisse...
[MAJ 19/03: suite aux commentaires, voici le taux de change euro/dollar ces dernières années:
on voit en effet bien la remontée depuis 2002. L'euro s'est apprécié de 50% par rapport au dollar - mais dans le même temps le pétrole a gagné 250%... Cette page ( et aussi celle-la)montre prix du baril en dollars (constants ou pas) et en euros. Naturellement la hausse est moins spectaculaire en euros (notamment par rapport au choc des années 80) - mais bon fondamentalement cela ne change rien à la physique du problème.]